Entendons-nous bien; chacun est libre de ne pas aimer les romans de Messieurs Thilliez, Musso, Chattam et autres, et de penser que le temps consacré à leur lecture pourrait être mieux employé - sauf que ce n'est pas ce qui est en jeu ici, et M. Thilliez l'a bien vu. Ce n'est pas tant à des auteurs que s'en prend l'autrice de l'article qui a mis le feu aux poudres, mais bien à une littérature qui n'a pas l'aval de son magazine, une littérature qui se vend alors que ses poulains tirent la langue pour aligner 1000 exemplaires, une littérature qui ne s'adresse pas aux "gens bien". La littérature populaire.
Je vois d'ici certains lecteurs-défenseurs du magazine lever le doigt et protester: "Mais non, T. n'a rien contre la littérature populaire, ils sont très ouverts au polar, à la science-fiction". Le problème est que le "polar" et la science-fiction qui ont les honneurs de ses colonnes n'ont rien de populaire. Ce sont des variantes élitistes du genre, littérairement correctes et porteuses des "bonnes" valeurs, qui s'adressent à un public restreint, et publiés par des éditeurs "respectables". Surtout ce ne sont pas de "simples divertissements". C'est que chez ces gens-là, on ne lit pas un "polar" - pardon un roman noir, car c'est la seule forme du genre qui les intéresse - pour passer le temps ou un bon moment; on cherche avant tout une "grande émotion de lecture". Ne vous attendez donc pas à ce qu'ils vous parlent du dernier Michel Bussi ou d'autres "thrillers pré-construits, écrits à la truelle" qui font la joie du public des plages. Chez ces gens-là, on est sérieux et on lit des livres idoines.
Et le pire c'est que ces gens-là, s'ils ne sont pas prescripteurs, sont en revanche de très bons proscripteurs. Si les différents prix spécialisés vont année après année à des bouquins assommants que personne ne lit en dehors du "sérail", si le Grand Prix de Littérature Policière couronne chaque année des livres qui n'ont rien de policier, si de grands auteurs reconnus à l'étranger n'ont droit qu'à un entrefilet dans la presse alors que des quidams ont droit à cinq colonnes, c'est grâce à l'influence de ces gens-là et de leurs collègues des autres journaux et magazines "de référence" dont certains siègent d'ailleurs dans le jury desdits prix. Et le fait que leurs poulains n'intéressent personne à l'intérieur comme au delà de nos frontières ne les tourmente pas plus que ça. Chez ces gens-là, on ne doute pas - et surtout on ne se fie pas à la vox populi, ni aux opinions étrangères. Mais ne leur en déplaise et malgré tous leurs efforts pour la récupérer, la littérature de genre est avant tout une littérature populaire, et c'est donc le peuple qui décide au final - et il préfère largement Fred Vargas à Jean-Bernard Pouy. Il n'est d'ailleurs pas le seul puisque c'est la première et non le second qui vient de remporter le Prix Princesse des Asturies. Mais chez ces gens-là, on ne se soucie pas des prix, sauf quand on les décerne soi-même.
Alors bien sûr, la littérature populaire est périssable (qui lit encore aujourd'hui Max du Veuzit ou Xavier de Montépin?) et il se peut que dans un siècle le nom de Franck Thilliez ait sombré dans l'oubli alors que les auteurs vantés par ces gens-là dormiront au Panthéon de la littérature mondiale. Cela se peut. Et on s'en fout. Car la littérature populaire n'existe pas pour être "validée" ni "reconnue" ni pour "durer"; son but est avant tout de donner du plaisir ici et maintenant et c'est sur ce seul point qu'elle doit être jugée.
Mais il est vrai que chez ces gens-là, le plaisir...