Personne n'a eu l'audace d'expliquer que cette intrigue relève du Cluedo. Vous savez, ce jeu où c'est toujours le colonel Moutarde qui est le meurtrier avec un chandelier dans le salon. J'y jouais quand j'étais gamin au début des années 70. Et bien, on en est encore là. On réfléchit aux séries policières françaises comme s'il fallait adapter Boileau-Narcejac ou Georges Simenon. Non, c'est fini. Ce temps est révolu. Agatha Christie appartient au passé.
Mettre dans le même sac des auteurs aussi différents et qui, pour d'eux entre eux, sont parmi les plus lus dans le monde et en France*, et proclamer leur obsolescence - voilà qui peut surprendre. Les assimiler au jeu de Cluedo (quand seule Christie ressort du roman d'énigme dont le Cluedo est une caricature) et taxer celui-ci de ringardise, aussi. Mais nous sommes en France, et tout s'explique.
Le whodunit, puisque c'est lui qui est visé, est pratiquement absent du paysage éditorial français depuis plusieurs décennies, si l'on excepte la valeur sûre qu'est Christie, des anomalies en voie de résorption comme Paul Halter et quelques rééditions éparses - toujours les mêmes d'ailleurs - qui ne suscitent que peu d'intérêt dans les médias. Cela ne tient pas, malgré les apparences, à une désaffection du public mais au fait que ceux qui font la pluie et le beau temps dans ce domaine - éditeurs, critiques, journalistes - préfèrent largement des formes plus modernes et à leurs yeux plus "littéraires" à commencer par le sacro-saint roman noir qu'ils n'ont donc de cesse de promouvoir. Le whodunit, à leurs yeux, est dépassé, ringard et aussi peu digne d'attention et de soutien que les romans de Barbara Cartland. C'est ainsi que le dernier éditeur spécialisé en France, Le Masque, a définitivement tourné casaque au début de ce siècle sous la férule d'une directrice dont l'objectif avoué était d'en faire un Rivages bis** (comme si un seul ne suffisait pas...) Adieu Peter Lovesey, bonjour Don Winslow!
Difficile dans ce contexte d'admettre que le genre se porte bien dans les pays anglo-saxons, sous une forme certes modernisée et parfois caricaturale, le "cozy" (douillet, parce que peu porté sur la violence et le sexe contrairement au noir et au thriller) Son auteur-phare, la canadienne Louise Penny, connait un succès critique et commercial retentissant, consacré par de nombreux prix et distinctions. On ne s'étonnera pas qu'elle n'ait jusqu'ici suscité qu'un intérêt limité et passablement étonné ("ça existe encore, ce genre de truc?") chez nous, et on la cherchera en vain dans la sélection pour le Grand Prix de Littérature
La vision déformée et réductrice que se fait la France de la "Planète Polar" est un sujet que j'ai abordé à plusieurs reprises sur ce blog et quelque chose me dit que je n'en ai pas fini.
* Tellement populaire dans le cas de Christie qu'une suite vient d'être donnée aux aventures de son détective Hercule Poirot!
** Le Masque a semble-t-il décidé de renouer avec ses racines depuis le départ de Mme Aubert vers d'autres cieux, comme le suggère le réveil de la "collection jaune" et des rééditions de Dorothy L. Sayers, Rex Stout et autres.
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