04/10/2011

Les Anglais ne sont pas là

Le roman policier britannique est très mal connu en France.

J'en vois parmi mes lecteurs qui froncent les sourcils, d'autres qui se demandent si je plaisante: ce n'est absolument pas le cas. Quantité d'auteurs britanniques passés et présents restent méconnus, sous-estimés et sous-traduits dans nos contrées.

L'une des conséquences de la déferlante noire de l'après-guerre fut la ringardisation de l'école anglaise. Pour des critiques et des lecteurs conquis par l'audace et l'énergie du roman noir américain, le polar anglais faisait figure d'anachronisme, fidèle qu'il restait pour l'essentiel à un genre - le roman d'énigme - que tout le monde s'accordait à reléguer au rayon des antiquités. De fait, "roman anglais" devint rapidement synonyme d'ennui et de routine sous la plume des critiques les plus "avancés". La seule collection restée fidèle à ce genre maudit, Le Masque, le paya de décennies d'indifférence/hostilité de la part des critiques et des jurys littéraires.

Cette anglophobie n'était pas systématique: les auteurs britanniques qui ne donnaient pas dans le "style anglais" étaient bien accueillis, parfois mieux que dans leur pays d'origine (cf. James Hadley Chase ou Robin Cook) et recevaient même des prix. Mais dans l'ensemble, les ressortissants de la perfide Albion, traditionalistes ou modernistes, restaient des mal-aimés sinon toujours de la critique, mais en tout cas de l'édition. Ainsi, le fait d'avoir remporté tous deux le Grand Prix de Littérature Policière ne suffit pas à garantir à Michael Gilbert ou à Shelley Smith d'être traduits régulièrement. Cyril Hare, Michael Innes ou Gladys Mitchell firent un ou deux petits tours et puis s'en allèrent sur la pointe des pieds. Julian Symons quant à lui sauta d'une collection à l'autre, la relative indifférence des critiques contrastant singulièrement avec son statut proéminent dans le monde anglo-saxon. Les "reines du crime", Christie exceptée, ne s'en tirèrent pas mieux: Ngaio Marsh n'intéressa vraiment les éditeurs qu'à partir des années 80, Margery Allingham fit des apparitions de-ci de-là et Dorothy Sayers vit ses oeuvres soit charcutées, soit traduites avec cinquante ans de retard (son maître-ouvrage, Gaudy Night, restant inédit à ce jour.) Et encore nous en tenons-nous à ceux des auteurs qui eurent la chance d'être traduits, car il nous faudrait également inclure des gens comme Edmund Crispin ou Celia Fremlin qui durent attendre pour l'un les années 80, pour l'autres les années 90 avant de faire leurs débuts français.

Les années 80 marquèrent un début de réhabilitation de l'école anglaise, sous l'effet du rouleau-compresseur P.D. James/Ruth Rendell mais aussi avec la réactivation du Masque et l'apparition d'une nouvelle collection, "Grands Détectives" chez 10/18. On commença de rééditer les introuvables et de traduire les négligés, ce qui faisait du monde. Hélas, bien des aventures restèrent sans lendemain: "Grands Détectives" laissa tomber Michael Innes et Gladys Mitchell au bout de quelques livres et la nouvelle orientation du Masque entraîna l'abandon de plusieurs auteurs et de projets excitants comme la première édition intégrale en français des oeuvres de Sayers. Arrivés en 2011 il reste encore bien du retard à rattraper sans qu'on voit trop bien comment au vu des moeurs actuelles des milieux de l'édition. Qui aura assez de courage et de discernement pour nous permettre de lire enfin des classiques comme The Moving Toyshop, Tragedy at Law ou The Colour of Murder, poursuivre l'édition des oeuvres de Reginald Hill ou Robert Barnard, ou nous faire découvrir les oeuvres de maîtres modernes comme Martin Edwards ou le transfuge de l'horreur, Christopher Fowler, dont les romans mettant en scène Bryant et May font les délices des amateurs de crimes impossibles?

3 commentaires:

Patrick a dit…

Xavier, un excellent article. Malheureusement, je ne peux pas commenter sur le materiel trop, car j’habite le Canada, mais je suis toujours intrigue par l’histoire du roman d’énigme en France.

J F Norris a dit…

I'm stunned. Being an ignorant unilingual reader (though I could probably stumble through German books with the aid of a dictionary) I had no idea of the dearth of English translated British mystery authors in your country. Is this more a case of cultural bias rather than "discerning" publishing? If French readers don't know it exists will they seek it out in the original English anyway? So many questions to ponder.

Xavier a dit…

John --

Be rassured John, the situation is not that catastrophic! The "Brit problem" in France is not one of quantity, but of quality and recognition: the chaff gets translated whereas the wheat is ignored or arrives too late. Let me take this example: back in the Sixties, publisher Le Masque (the only one at the time specializing in traditional mysteries) heavily published the works of Colin Robertson, John Cassells or George Bellairs while butchering Sayers' "Five Red Herrings" and turning its nose up at the likes of Allingham, Hare or Crispin (the first and third finally found their way to Le Masque's catalog... in the 1980s)
Things haven't always been this way: British mysteries were quite popular in the years before WWII, with a literati like Paul Morand writing a glowing foreword to Sayers' "Lord Peter Views The Body". Readers after the war, on the other hand, wanted something grittier and less intellectual - and publishers were more than happy to oblige.

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